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  • Photo du rédacteurPatricia Jaïs

Le rapport aux défunts

"En ce jour de 1er novembre où nous rendons hommage à « nos » morts, j’ai voulu partager ce témoignage sur ma propre expérience de la mort.


J’ai perdu mon père quand j’avais 19 ans, décédé d’un cancer des intestins. Sa maladie fut suffisament longue et nous aurions pu traverser ce passage ensemble vers la sérénité, mais comme dans beaucoup de familles, le déni de la mort était trop important pour que nous puissions aborder clairement le sujet. En cherchant à nous protéger les uns les autres, nous avons raté ces moments cruciaux où tout peut être dit, où tout doit être dit.


Ainsi mon père est parti le cœur lourd de ses secrets, ces terribles secrets que nous, ses enfants, avons découvert après sa mort. Oh, mon père n’était pas un assassin ni un brigand, mais ses secrets changèrent pour nous la face du monde. Nous devions faire le deuil de notre père, mais aussi de l’image idéalisée de notre père et de notre famille.



Personnellement, je vécu un sentiment de culpabilité aussi intense qu’inconscient. Mon père étant décédé peu après cette période de l’adolescence où nous rejetons un peu systématiquement tout ce qui vient de nos géniteurs, je fis un amalgame fâcheux : comme j’avais tendance à rejeter mon père, c’est moi qui l’avait poussé vers cette issue fatale ! Le mental peut être très puissant pour se construire des scénarios destructeurs, et je commençais ma vie de jeune femme avec ce terrible boulet agissant sur mes choix à mon insu.


Mais le boulet le plus lourd fut certainement ce sentiment de coupure inéluctable : mon père était mort sans que nous ayions pu nous témoigner notre amour réciproque. Quand je pensais à lui, seules la tristesse et la solitude m’envahissaient, le lien était coupé.


Plus de dix années passèrent, j’avais quitté Paris et m’étais installée à Genève. J’eus l’occasion de travailler à temps partiel à la Fondation Soleil comme secrétaire durant quelques mois. La personne que je remplaçais m’accueillit la veille de son départ pour me montrer mes fonctions. Le lendemain, une verrée était organisée en son honneur, et la première chose qu’elle me demanda fut mon nom de famille (elle ne connaissait que mon prénom). Elle le formula ainsi : « Je ne sais pas pourquoi, mais il faut que je te demande ton nom ».

Quelle ne fut pas ma surprise quand je le lui dis, car sa réponse fut immédiate : « Es-tu la fille de Robert Jaïs ? »

A ma réponse affirmative, elle m’expliqua alors que son père et le mien étudiaient ensemble à Alger, que son papa avait une grande admiration pour le mien, qu’elle même avait eu une fois l’occasion de le rencontrer lors d’un repas et qu’elle avait été frappée par son charisme, etc…

Je ne sais pas si vous pouvez imaginer la surprise qui fut la mienne, car mathématiquement parlant, le nombre de probabilités que je rencontre cette personne était infinitésimale. Mais le « destin » s’était mis en marche.

Ainsi un début de lien se redessinait timidement, car j’appris de belles choses sur mon père que j’ignorais, et je pus constater à nouveau quel beau rayonnement il avait eu sur son entourage.


Mais ma surprise ne s’arrêta pas là. Quelques semaines plus tard, une autre secrétaire qui avait vécu en Angleterre nous informa qu’elle faisait venir un médium très performant de Londres, et que si nous souhaitions prendre un rendez-vous, elle se chargeait de l’agender. Ce que je fis, car je vivais alors une période affective difficile et souhaitais savoir où tout cela me menait.

Après quelques minutes, le médium – un homme jovial qui devait fréquenter les pubs irlandais avec assiduité – interrompit mes questions pour me dire qu’il y avait là « une présence » qui souhaitait communiquer, et que c’était mon père.

Ce fut un moment extrêmement émouvant et précieux que je n’oublierai jamais. Je ne raconterai pas ici toute la teneur de l’échange, qui ne dura que quelques minutes, mais témoignerai de l’essentiel : mon père me demandait pardon, et m’assurait qu’il serait toujours là pour moi.

Encore aujourd’hui, quand je repense à cet instant, je ressens une forte émotion, même si celle-ci est devenue sereine.



Il m’a été donné depuis d’autres occasions – multiples – de comprendre que les « morts », bien que faisant partie d’une autre dimension, peuvent encore être « présents » à leur manière, subtile, et que surtout il n’est jamais trop tard pour faire le travail du deuil et du pardon.

Je pourrais citer d’autres nombreux exemples, qui feront peut-être un jour l’objet d’un livre. Mais aujourd’hui, je voudrais simplement rendre tangible que si nous le souhaitons, si nous en avons besoin, nous pouvons encore « communiquer » nos sentiments et émotions aux défunts, et que cela peut être « entendu ».



Je connais beaucoup de personnes qui souffrent énormément de n’avoir pas pu/pas su vivre pleinement ces derniers moments de partage avec un être proche, aimé ou haï, et ainsi les blessures n’ont pu être fermées et cicatrisées. Ce témoignage est une invitation pour chacun, en ce 1er novembre 2013, de faire ce qui est nécessaire pour que la paix et la sérénité puissent remplacer la douleur, les ressentiments, la culpabilité, et que les histoires « inachevées » puissent enfin être transcendées pour recouvrer la joie et la légèreté."



Patricia Jaïs

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