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  • Photo du rédacteurPatricia Jaïs

La maladie a-t-elle un sens ? - Interview du Dr Thierry Janssen


Alain Gourhant : Pourquoi avez-vous écrit ce livre à ce stade de votre parcours ?


Thierry Janssen : La raison est d'abord personnelle : quand je travaillais à l'hôpital, je ne me rendais pas compte du besoin de sens des patients que j’opérais. Je n’imaginais pas à quel point il était important pour eux de trouver une explication à ce qu'ils vivaient. Je ne soupçonnais pas que ces patients cherchaient à intégrer leur maladie à leur parcours de vie, afin de trouver un sens à leur expérience et définir une direction à leur existence.

Depuis que j’accompagne les malades en tant que psychothérapeute, je me rends compte que cette question du sens est primordiale; pouvoir y répondre correspond à un besoin fondamental pour l’être humain. J’ai donc été amené à m’interroger afin d’élargir le champ de ma réflexion. Vous savez, il y a un monde entre l’exercice de la chirurgie et la pratique de la psychothérapie. Est-ce que vraiment la maladie a un sens ? Et, si elle a un sens, quel est-il ? Comment y répondre, comment aider les patients face à cette question ? Ce nouveau livre rend compte d’une réflexion personnelle éclairée par les connaissances de ma culture – une culture scientifique, contemporaine, occidentale.


A G : Pourquoi ce sous-titre, Enquête au-delà des croyances ?


Th J : Parce que nos croyances sont les filtres à travers lesquels nous tentons de comprendre la réalité. Nous ne pouvons pas nous passer de ces croyances, elles nous sont indispensables pour organiser la représentation que nous avons de nous-mêmes et du monde dans lequel nous vivons. Cependant, la réalité est toujours plus vaste, plus subtile et plus complexe que nos croyances nous le laissent supposer.

Moi-même, en tant que médecin, j'avais des idées préconçues par rapport à la question du sens, j'ai donc dû m'ouvrir à d'autres idées – d’autres théories à propos du sens de la maladie – pour, finalement, essayer de comprendre qui nous sommes réellement derrière nos différentes croyances. Examiner la manière dont nous nous représentons la maladie, ses traitements et sa guérison, est un bon moyen de comprendre notre nature profonde, l’essentiel de ce qui fait de nous des êtres humains. Ce livre est une invitation à recontacter cet essentiel. Dans ma pratique, j’ai pu constater que de nombreux malades sont déçus par la médecine scientifique, conventionnelle, qui n’apporte pas de réponse à leur quête de sens. Du coup, ils se tournent vers des thérapeutes non conventionnels, dits “alternatifs ou complémentaires”. Certains de ces thérapeutes affirment alors que toutes les maladies ont un sens bien spécifique et qu’il suffit de dire où l’on a mal pour comprendre pourquoi. Malheureusement, en consultant ces thérapeutes – véritables “donneurs de sens” –, les patients s’enferment dans des explications qui les empêchent de trouver le sens profond qu’ils souhaitent, chacun, attribuer à leur expérience.


A G : On découvre alors que chaque culture apporte ses propres réponses à la question du sens de la maladie…



Th J : Absolument. Ce livre est une enquête menée au sein de notre culture occidentale et contemporaine, mais pas seulement. Depuis que l’humain est humain, il tente d’apporter des réponses au chaos provoqué par la maladie. Que cela soit dans les communautés aborigènes du nord de l’Australie où j’ai séjourné, chez les Douala du Cameroun ou chez les Navajos en Arizona, les théories évoquées pour expliquer la maladie permettent toujours de rassurer les malades. Elles réorganisent le chaos, génèrent un espoir, donnent un sens, définissent une direction pour l’individu et sa collectivité. Peu importe la croyance, pourvu que l’on puisse y croire. Biologiquement, on sait que nos croyances sont indispensables pour survivre car, en générant des pensées positives et des émotions agréables, elles participent à la mise en route des mécanismes réparateurs du corps et à l’activation de bonnes défenses immunitaires. C’est parce qu’ils se sont inventés l’espoir d’un paradis que nos ancêtres sont parvenus à résister aux stress de leur condition. C’est parce que nous pouvons imaginer que nos souffrances ne seront pas inutiles que nous supportons les épreuves de notre vie.


« Avoir l’espoir ne signifie pas que nous pensons que les choses vont se produire bien, écrivait Vaclav Havel. Cela signifie simplement que nous pensons que les choses auront un sens. ».


Sans espoir, il est impossible de continuer à vivre. Sans un sens, nous ne pouvons plus avancer. Cependant, il me paraît important de ne pas se laisser enfermer dans une croyance. Il faut pouvoir relativiser nos représentations de la réalité, les enrichir à partir de nos expériences, les faire évoluer, ne pas s’identifier à notre pensée car celle-ci n’est que le reflet partiel et incomplet de ce qui est vraiment.

Malheureusement, la plupart d’entre nous restent très attachés à nos croyances et refusent de les mettre en doute. Cela provoque les guerres les plus sanglantes. Car l’être humain est capable de tuer pour défendre une croyance qui le rassure. C’est pour cela qu’il est important de pousser notre curiosité au-delà des croyances. À cette condition seulement, nous pouvons comprendre “l’esprit des choses”, “l’esprit de ce que nous sommes”. Pour moi, c’est dans cette compréhension que réside la véritable spiritualité. Tout mon trav


ail de médecin, de thérapeute et d’auteur tente de se situer à ce niveau. On découvre alors l’essence, l’essentiel, le bon sens qui nous montre à tous le même chemin.


A G : Vaste programme…


Th J : Programme indispensable, il me semble. Je suis interpellé de constater à quel point les gens laissent les autres penser à leur place. En particulier lorsqu’ils sont malades.

En soi, cela est compréhensible car la maladie est un traumatisme qui nous ôte nos repères et nos certitudes. Face à elle, nous sommes comme infantilisés et, du coup, nous avons tendance à remettre notre pouvoir à une autorité extérieure, un “bon parent”, un soignant, notre thérapeute ou notre médecin. Le transfert est facile. Mais je crois qu’un bon thérapeute ou un bon médecin doit aider les patients à trouver leur propre pouvoir.

Mon livre est une incitation pour les malades à retrouver leur liberté et, face à la question du sens, choisir le ou les sens qu’ils souhaitent attribuer à leur expérience. Loin des théories toutes faites et de certaines affirmations “psychosomatiques” qui déclarent que toutes les maladies ont une cause psychologique (voire même une cause exclusivement psychologique), la réponse est à trouver au fond de chaque individu. Dans un véritable travail de libération.


A G : Il y aurait actuellement face à l'absence de sens d'une société en crise, une demande profonde et collective de sens ?


Th J : Je le pense, je le constate également. Les Chinois écrivent le mot “crise” en apposant deux idéogrammes; l’un signifie “le danger”, l’autre veut dire “l’opportunité”. Toute crise comporte en effet le danger de ne pas comprendre les raisons qui l’ont provoquée et, donc, de s’enfoncer plus loin dans la catastrophe. Et, en même temps, chaque crise est une opportunité de détecter les causes qui l’on produite et, de là, de changer ces causes afin d’obtenir d'autres effets. Depuis trois cents ans (depuis le siècle des Lumières), en Occident, nous nous représentons le monde comme une mécanique, et nous considérons la nature comme dangereuse. Convaincus d’être supérieurs, “en dehors de la nature”, nous pensons pouvoir dominer le monde par la compréhension de ses “mécanismes”. Malheureusement, à force de nous intéresser aux détails, nous avons perdu la vision de l’ensemble. Et, en focalisant notre attention sur l’aspect matériel du monde, nous ne nous posons plus la question des liens existants entre les différents éléments de la réalité. Nous ne nous posons plus la question du sens de notre réalité. Certains chercheurs affirment qu’il n'existe pas de sens préétabli à la réalité. C’est possible, cependant nous oublions qu’il est indispensable d’attribuer un sens à cette réalité car, je l’ai dit : le sens génère l’espoir nécessaire à notre survie.

Un monde désespéré est un monde à l’agonie. L’important n’est pas tant de savoir si les choses ont un sens mais plutôt de savoir quel sens nous allons attribuer aux choses. La question du sens a été évacuée du champ de nos préoccupations en même temps que l’analyse scientifique et matérialiste du monde a supplanté la démarche religieuse et spirituelle. Intuitivement, nous sentons bien qu’il manque quelque chose à notre équilibre. Simplement parce que nous ne sommes pas seulement des animaux constitués de matière ; nous sommes aussi des êtres animés d’émotions et de sentiments, des animaux en quête de sens.


A G : Est-ce que l'on peut dire que la médecine conventionnelle, la médecine classique est dans une absence de sens, ou c'est plus compliqué que cela ?



Th J : La médecine est le reflet de la société dans laquelle nous vivons, elle est une émanation de la civilisation que, tous, collectivement, nous créons. À force de négliger la question du sens, on oublie de définir la direction dans laquelle nous souhaitons poursuivre notre aventure individuelle et collective. Réfléchir au sens de la maladie, c’est aussi réfléchir à l’orientation de notre chemin personnel et sociétal. Les anglo-saxons utilisent trois mots pour définir la maladie. Disease (la perte d'aisance) désigne l'affection comme elle est décrite par notre médecine scientifique. Illness traduit le malaise qui accompagne la maladie, c'est-à-dire le


vécu subjectif du patient que notre médecine contemporaine ne prend pas ou très peu en compte. Enfin, sickness qualifie la maladie en tant que phénomène social engageant la responsabilité de toute la collectivité. Il existe donc au moins trois niveaux de sens à la maladie : un “sens biologique” de la pathologie - disease, un “sens symbolique” du malaise - illness et un “sens collectif” de la maladie - sickness. La médecine contemporaine ne s'intéresse pas beaucoup à ce sens collectif. Et nos sociétés individualistes sont peu enclines à considérer la responsabilité communautaire face à l’émergence de certaines pathologies…, pensons au cancer contre lequel nous déployons de nombreux efforts de traitement mais très peu de mesures préventives… Nous avons encore beaucoup de mal à considérer notre responsabilité dans les processus de causes à effets qui provoquent l’accroissement du nombre des cancers… Nous n’avons pas très envie de changer nos habitudes de pollueurs… Pourtant, il n’y a qu’en assumant notre “responsabilité” que nous pouvons être habilités à répondre aux problèmes. C’est ce que savent des peuples traditionnels comme les Aborigènes, les Douala ou les Navajos. Chez eux, la plupart des rituels de guérison exigent la participation de l’ensemble de la communauté.


A G : Comment se fait-il que le “sens biologique” de l’affection disease soit tellement valorisé dans notre culture occidentale, au détriment des autres sens de la maladie ?


Th J : Définir le “sens biologique” des maladies est naturel pour une culture comme la nôtre qui tente de comprendre la nature dans ses détails pour mieux s’en protéger, mieux la dominer. Notre médecine soigne des corps-objets. Elle ne s’intéresse pas aux corps-sujets. Il n’est donc pas étonnant qu’elle néglige le “sens symbolique” que nous avons besoin d’attribuer à nos expériences. Et, privilégiant les détails, elle oublie la globalité. Il n’est donc pas surprenant qu’elle minimise le “sens collectif” de nos maux.


A G : Parlons maintenant de “ce pauvre docteur Hamer”, votre livre apparaît un peu comme un réquisitoire contre lui...


Th J : Je suis désolé que cela puisse être perçu comme un réquisitoire, car ce n'était pas mon but. J’ai simplement cherché à comprendre les théories de Hamer. Face à la médecine scientifique et technologique qui soigne le corps comme un objet, un courant de la médecine s’est constitué au début du XXème siècle afin de reconsidérer l’individu comme une entité indivisible. C’est la médecine “psycho-somatique”.

J’ai retracé, dans mon livre, l'histoire de la médecine psychosomatique afin de comprendre comment celle-ci avait pu donner naissance à des théories comme celle de Ryke Geerd Hamer, qui affirment une origine exclusivement psychologique à toutes les maladies et en particulier au cancer. Ainsi, de Groddeck à Hamer, en passant par Freud, Jung, Reich, Hélène Flanders Dunbar, Franz Alexander, Françoise Dolto, Henri Laborit ou George Canguilhem, j’ai tenté de montrer comment les affirmations de ce que l’on appelle la Nouvelle Médecine Germanique se sont mises en place. C’est passionnant. Mais, à la lumière, des dernières découvertes de la science, je suis obligé de constater que les affirmations de Hamer ne peuvent pas être considérées comme des théories mais simplement comme des hypothèses qui sont loin d’être démontrées, expliquées et vérifiées. Le reconnaître est la moindre des humilités. La moindre des honnêtetés aussi. Dans ma pratique, je rencontre beaucoup de patients qui, véritablement endoctrinés par les affirmations de la Nouvelle Médecine Germanique (ou de l’une de ses écoles comme la Biologie Totale) ont abandonné tout autre traitement que la prise en charge psychothérapeutique, convaincus de guérir de leur cancer par la seule résolution d’un conflit psychologique supposé à l’origine de leur pathologie. Arrivés à la fin de leur vie, ces patients meurent souvent dans la culpabilité de ne pas être parvenus à identifier leur problème psychologique ou de ne pas être arrivés à le dépasser. C’est absurde. Car, même si le cancer peut être favorisé par un stress psychologique, comme la plupart des maladies, il s’agit avant tout d’une pathologie d’origine multifactorielle. Les affirmations de Hamer surviennent à la suite d’une expérience dramatique qu’il a vécue à travers la mort de son fils, tué par une balle perdue – une affaire que la justice a voulu étouffer pour protéger le meurtrier, fils d’un personnage très en vue – et, quelques mois plus tard, l’apparition d’un cancer du testicule qui, selon le médecin allemand, était la conséquence de son chagrin, manifesté sous la forme d’une maladie mortelle dans un organe hautement symbolique de sa paternité blessée. Comme beaucoup d’inventeurs convaincus du génie de leur idée, Hamer a voulu faire entendre ses affirmations sans y joindre la pédagogie nécessaire et, surtout, sans faire référence à ces nombreux prédécesseurs, théoriciens de la pensée psychosomatique. Rejeté par ses pairs, il a développé une sorte de parano qui m’a empêché de le rencontrer au cours de mon enquête… c’est dommage.


AG : Ce nouveau livre serait-il un appel à la médecine contemporaine pour évoluer, réfléchir, se remettre en question...?


Th J : C’est un appel à tous les soignants, médecins ou non-médecins, conventionnels ou non conventionnels, défenseurs ou détracteurs des hypothèses de Hamer. Et ce pour deux raisons. Tout d’abord, parce que de plus en plus de patients sont fâchés contre la médecine. La plupart des médecins ne s’en rendent pas compte car ils vivent dans des univers clos, cependant un véritable fossé se creuse entre les soignants et les soignés. De plus en plus de gens ne se sentent pas respectés dans leur intégrité, leur globalité et la médecine se prive d'un moyen de les aider. Car le fait d’écouter les patients, de leur permettre de confier leur malaise et de les accompagner dans leur quête de sens, générerait une série d’émotions agréables ou “positives” qui participeraient à leur guérison. Sans compter que cette dimension humaine et humaniste redonnerait du sens à la pratique médicale. De nombreux médecins en seraient plus heureux. La seconde raison à cet appel est que, je l’ai dit, face au manque d’intérêt de la médecine pour la question du sens, de nombreux patients consultent des thérapeutes qui, parfois, sont eux-mêmes pris au piège de la volonté de répondre et d'apporter des solutions. Animés par une espèce de volonté de toute-puissance, ces “donneurs de sens” empêchent les malades de trouver leur propre vérité. C’est dommage. Car aucun être humain ne peut, je crois, être réduit à une théorie trop simple. Nous sommes tellement complexes. Il faut beaucoup d’humilité lorsque l’on endosse la responsabilité d’aider autrui sur le chemin de la guérison. Beaucoup de respect aussi.


Nous sommes des “phénomènes” multidimensionnels, animaux biologiques, symboliques et sociaux. En tant que soignants, nous devons nous poser des questions et ne pas nous satisfaire de nos réponses toutes faites.



PROPOS RECUEILLIS PAR A. GOURHANT in SANTÉ INTÉGRATIVE N°6

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