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  • Photo du rédacteurPatricia Jaïs

Le livre de la sagesse du Monde - Conte espagnol

Dernière mise à jour : 11 déc. 2023

Une veuve avait sept fils. Elle était pauvre. Elle était même la plus pauvre de tout son village. Une année, la famine sévit dans le pays et les pauvres, déjà tellement pauvres, touchèrent le fond de leur misère. Ses sept fils décidèrent de partir gagner leur vie à travers le vaste monde. Ils partirent avec des pieds de plomb, désespérés de laisser leur mère tant aimée.


Ils voyagèrent longtemps de ville en ville mais ne trouvèrent pas de travail. Ils étaient trop jeunes, trop nombreux et trop maigres ! De jours en jours, ils avaient de plus en plus faim et étaient de plus en plus fatigués. Ils dormaient le ventre vide dans les bois, dans les fossés ou sur le bord des routes.


Un matin, que le temps était particulièrement mauvais, que la pluie tombait à verses, qu’un vent glacé soufflait entraînant à sa suite des nappes de brouillard, qu'ils étaient transis de froid, mouillés de la tête aux pieds et tellement désespérés d’être en si mauvaise posture, ils se trouvèrent juste devant les murs délabrés d’un château. Ils frappèrent à la porte mais personne ne vînt leur ouvrir. Ils poussèrent le vantail et se trouvèrent dans une cour vide. Pas de chiens de garde, pas de chevaux dans les écuries, pas de lumière derrière les vitres brisées. Ils se dirigèrent vers ce qui semblait être le corps du logis. Ils appelèrent mais seul l’écho leur renvoya leurs appels. Ils visitèrent toutes les pièces. Elles étaient sales, couvertes de poussière et de grosses toiles d’araignées pendaient du plafond.


Arrivés à la dernière pièce, ils s’arrêtèrent stupéfaits. La pièce était rangée, propre. En son centre se dressait une table admirablement garnie de sept assiettes en argent, de plats de viande, de sauces fumantes, de légumes les plus variés, de sept verres en cristal, de sept serviettes de soie, de pain frais dans la corbeille à pain, de bougeoirs aux bougies rouges. Dans la cheminée des bûches n’attendaient plus que l’étincelle pour répandre dans la pièce leur douce chaleur.


Leur faim était tellement forte qu’ils pénétrèrent dans la pièce, s’installèrent à la table et mangèrent de bel appétit. L’aîné osa même allumer le feu.


Au beau milieu de leur repas, ils entendent une voix plaintive qui leur dit :

- Plus de lumière, encore plus de lumière !

Ils se regardent sans parler. Au bout d’un moment, le silence revenu, les sept garçons s'apprêtent à boire. Au moment d'approcher leurs lèvres des verres, la voix gémit à nouveau :

- Plus de lumière, encore plus de lumière !

L’aîné prend son courage à deux mains, allume une torche et dit :

- Je vais voir ce qui se passe.

- Nous t’accompagnons, disent ses frères.


Ils sortent dans le couloir, montent les escaliers. La lune éclaire les marches. Arrivés à l’étage, ils visitent les pièces sans rien trouver. Partout, la même poussière, les mêmes toiles d’araignées. Ils montent encore une volée d’escaliers et parviennent à une dernière porte tout au sommet de la tour. Ils poussent la porte mais ont un mouvement de recul. La pièce est occupée par un vieillard à la longue barbe blanche, tellement longue qu’elle touche le sol, et aux cheveux immaculés. Son visage est très pâle. Il est assis sur un vieux siège défoncé derrière une table bancale. Derrière le fauteuil se dresse un énorme tableau qui représente un chat noir aux yeux vert émeraude qui brillent d’une lumière inquiétante et regardent fixement les sept garçons. Malgré leur courage, ils tremblent sous ce regard.


Le vieillard ne semble voir les sept frères. Il est plongé dans un énorme livre qu'il semble avoir des difficultés à déchiffrer. Il se met à gémir.

- Plus de lumière, encore plus de lumière !

Les jambes des sept frères tremblent de plus en plus. L’aîné est sans conteste le plus courageux. Il s’approche du vieillard, pris de pitié, et lève sa torche au dessus du livre tout en lui disant :

- Voici de la lumière.

Le vieil homme baisse la tête et se remet à lire avec fièvre. Il avale les pages jaunies plutôt qu’il ne les lit comme s’il craignait que la lumière ne s’éteigne avant qu’il n’ait terminé. A la dernière page, il pousse un soupir et referme le volume relié de vieux cuir aux coins d’argent noircis par les ans.


L’homme lève la tête et en regardant l’aîné dit :

- Je te remercie, mon garçon. Je vous remercie tous de m’avoir libéré. Quand j’étais encore en vie, il y a très très longtemps, je n’aimais personne et mon cœur ne connaissait pas de pitié. Les gens me fuyaient. Je fut condamné à rester dans cette pièce sombre jusqu'à ce que j’achève la lecture de ce gros livre. Il parle de gens sages et bons. Il décrit les souffrances, les peines, les larmes, les injustices qui frappent ces gens. Il détaille aussi tous les méfaits dont je me suis rendu coupable, mon égoïsme, ma cruauté. Il y a dans ces pages les pleurs des mères qui veillent leurs enfants malades, la douleur des fils qui ne peuvent aider leurs parents. J’ai commencé cette lecture il y a cent ans et je ne l’avais toujours pas achevée. Seul celui qui m’éclairerait pouvait me sauver. Vous m’avez secouru, en récompense, je vous donne ce château. Il est bien délabré mais si vous creusez dans la cave, vous trouverez sept pots d’or; ils sont pour vous.


Au moment où il prononça ces paroles, un courant d’air souffla brusquement sur la torche. Le cadet partit en chercher une autre mais lorsqu’il revînt, le vieillard, le livre et le chat du cadre avaient disparu.

Les sept frères descendirent dans la cave et trouvèrent les pots remplis d'or, comme le vieillard le leur avait dit. Ils firent venir leur mère, remirent en état le château, nettoyèrent toutes les pièces et redonnèrent à la bâtisse son lustre d’antan. Jamais plus ils ne connurent ni la misère, ni la faim. Jamais ils n’oublièrent le vieillard ni le contenu de son livre qui n’était autre que le livre de la sagesse du monde.

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